Un petit jeu réalisé sur un forum d’écriture très sympa, Le Cercle. Le but était d’écrire un texte à partir d’un titre imposé. Ici : "Les roulettes du dimanche soir".
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Adaptation libre du Pèlerin de René Magritte. |
Les roulettes du dimanche soir
La route défile et il aime cela. Rouler, encore rouler, épouser la route, l’imaginer sans fin. Mais elle a une fin. Comme tout. La fin, c’est ce bâtiment tôlé où nul ne se supporte. Il gare sa voiture sur la fin du voyage, la poitrine serrée, le rêve évanoui.
Chaque jour. Il pénètre dans le SAS, entrée froide et inutile. Ici pas de décontamination, rien que des bureaux fades. Il doit parcourir le couloir, du début à la fin. Sur le chemin, des portes. Les portes fermées sont rassurantes : rien à voir. Les portes ouvertes... Les portes ouvertes dévoilent des êtres. Ils sont là. Ils pourraient être humains mais ils ne le sont pas. Il faut être poli, dire bonjour, faire du joue-à-joue ou du serre-main. Puis aller essuyer les traces au lavabo.
Chaque jour, il finit par atteindre sa porte. Il y entre en sueur, il s’assoit. Et s’oublie. Il perçoit des passants, gris, âpres et peu aimables. Il lit autant d’insanités : le bonheur dans le travail, l’esprit d’équipe, l’ambition, le savoir-être (?). Au début il en riait ; aujourd’hui il ne lui reste que des nausées.
Chaque jour. Du lundi au vendredi.
Ce soir, il fera le chemin en sens inverse et reprendra son existence. Enfin la fin de la semaine. Deux jours pour lui et pour ceux qu’il aime. Un moment pour la vie. Toujours passé trop vite. La nature est belle, le sourire des enfants autant, la peau de sa femme est douce, les paroles amies sont miel. Il aime, rit, sourit, respire. Il respire. Deux jours. Il vit. Deux jours.
Vient le dimanche soir. La poitrine à nouveau se serre. Par anticipation. Il connaît la semaine. Il sait ce qui l’attend. Parfois il doute : aura-t-il encore la force ? Seul dans les toilettes, il se cherche dans le miroir. Il cherche la preuve qu’il existe, et cela pour les cinq jours suivants. Année après année, l’image s’efface. Il le voit bien. Il a peur. Il se perd de vue.
Il entend les rires dans le salon mais il n’est déjà plus là. Les roulettes du dimanche soir sont parfois russes.
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