Je sens enfin les prémisses d’un dénouement. Il me faut toujours rassembler une énergie considérable pour sortir et "affronter" le monde. Cependant, ce qui est nouveau, c’est qu’une fois franchi le pas de la porte, une fois le tapis de la vie déroulé sous mes pieds, je sens monter une chaleur euphorique le long de mon corps. Des pieds à la tête. Je savoure une sorte de liberté, de soulagement, qui me sont accessibles uniquement dans la solitude. Seul cet isolement entêté m’offre cette liberté, cette légèreté. Et ce silence, surtout. La non-obligation de parler. C’est assez curieux. Je commence à bien comprendre et à accepter mon mutisme. Ne plus parler.
Longtemps j’ai pensé que c’était un refus de partager, d’échanger. Je croyais que je refusais d’être à nouveau en relation avec les autres. Mais non, j’ai envie de faire des rencontres, de tisser de nouveaux liens. Je refuse la forme – l’oralité -, mais absolument pas la finalité, dont je ressens bien au contraire très fortement le besoin. Je comprends enfin pourquoi internet a pris tant de place dans mes journées. Je me dis qu’il faudrait que je trouve des correspondants "de plume".
Je me prends à rêver de l’époque où se prenait le temps d’écrire de longues missives, dans lesquelles se racontaient les journées, se développaient des théories, des rêveries… Et le temps de l’aller-retour. C’est de cela dont j’ai besoin : me taire, lire et écrire. Curieusement, écouter me plaît aussi beaucoup, à condition qu’il ne me soit pas demandé de formuler des réponses ou des commentaires. J’ai remarqué cela aussi. Souvent, je reste muette alors qu’on attend de moi une réponse. L’agacement ne tarde pas : "Eh bien, réponds !" Mon mutisme n’en devient alors que plus fort, accompagné du désir de faire disparaître l’objet de cette oppression. D’où vient cette tyrannie du langage ? Des mots immédiats ? Et si je n’ai pas envie de répondre, là, tout de suite ? Si j’ai simplement envie de rester là, dans le silence ? De réfléchir ? Pourquoi faudrait-il absolument que je parle pour parler ?
Il me semble aujourd’hui que plus ces instants d’allégresse se condensent autour de choses dérisoires, plus ils sont intenses. Par exemple, qu’ai-je fait cet après-midi : après plusieurs jours de procrastination culpabilisante, me voilà dans la rue. Premier arrêt devant le conteneur spécial verre dans lequel je balance bruyamment quelques bouteilles et pots divers. Puis direction la laverie. Je mets une lessive en route, désormais parfaitement à l’aise avec la manœuvre. Pendant que la machine tourne, je vais poster du courrier - qui était prêt depuis plusieurs jours, tout de même -, je passe chez le marchand de primeurs et à la supérette pour les achats du week-end. Et enfin, retour à la laverie, où j’attends la fin de la lessive avec un bon livre. J’ai croisé quelques personnes, mais nous étions sur des trajectoires différentes et ainsi je me sentais en sécurité.
C’est au retour que j’ai posé des mots – silencieux - sur cette légèreté ; sur cette énergie qui circule dans mon corps, de haut en bas ; sur cette bulle de silence qui m’enveloppe de bien-être. J’ai décidé de ne plus me priver de ces sensations. Je sens germer une force nouvelle. Pour autant, elle est encore trop fragile pour se mesurer aux autres. Lorsque je suis engagée dans une relation, je la dissimule, la protège, comme si j’avais peur qu’elle puisse être piétinée. Une jeune pousse. Je fais le vide autour pour lui permettre de grandir et forcir encore un peu. Elle en a besoin. Mais elle est là. Je le sais.
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On a le droit de ne pas parler... mais contente de voir cette envie de partager. Cela me rappelle une période de grand mutisme où le premier à qui j'ai pu dire un mot était un chat qui se dorait au soleil...
RépondreSupprimerOn a les interlocuteurs qu'on peut parfois.
Bonne fin de journée,
Je vais regarder le Proust, mais je trouve qu'il est raté...
B.
Un petit bonjour de L. à B. :D
RépondreSupprimerJe parle aussi à mon chat, mais il est bien plus bavard que moi, ça me repose.
On devrait avoir le droit de ne pas parler. Mais ce n'est souvent pas le cas. J'ai lu, il y a quelque temps, un petit livre marrant : "De l'art de dire des conneries", dans lequel Harry G. Frankfurt évoque cette obsession qui nous est imposée d'avoir toujours quelque chose à dire et un avis sur tout.
Dans "Des hommes et des dieux", il y a cette scène, pleine de malice et de sagesse, où Frère Amédée s'apprête à parler pour donner son avis, puis se ravise, soupire, secoue la tête et fait signe qu'il ne dira finalement rien.
Cette peur du silence... Comme les applaudissements qui fusent avant même que s'éteigne la dernière note du concert. Comme la ruée vers la sortie aux premiers instants du générique du film. Comme si, sous prétexte de ne "pas avoir de temps à perdre", on le remplissait de tout et de n'importe quoi. Ce qui est au final bien pire que de "le perdre", de mon point de vue. :-/
Oui, la peur du silence m'étreint parfois moi-même,et me fait dire aussi des bêtises, mais "la nature a horreur du vide" nous dit Aristote et pourtant comme ces abîmes nous cernent...
RépondreSupprimerIl y a là un paradoxe, un abîme de perplexité justement...
Mon roman, Danser au bord des abîmes, ressemble à une course pour remplir ce vide... son titre même invite malgré tout à s'amuser de ce vide qui nous entoure...
:)
Bonne journée!
B.
Salut L.
RépondreSupprimerTout d'abord, moi aussi je suis bien content de voir cette envie de partager.
Ensuite, un peu de "philosophie" (mouais...) qui m'est inspirée par le petit livre marrant dont tu parles.
Les conneries que l'on sort dans la discussion, ça ne nous fait pas toujours rire... loin de là.
Alors, autant limiter "les dégâts", surtout qu'ils peuvent ne pas être que pour soi. Et on pense aux autres aussi, nous!
Je crois qu'on peux dire aussi : tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. C'est faire preuve d'une prudence très sage.
A ceux qui jugeraient cela comme de la timidité ou autre, on peux leur répondre : les 5 lettres (pas la meilleure solution à mon avis, mais des fois ça fait du bien ), ou encore "non pas du tout".
Ou... on fait comme on veut :)
Bonne journée !
N.
Dans son livre, Harry G. Frankfurt ne parle pas de "conneries" au sens de blagues, mais plutôt de cette manie qu'ont certains de se sentir obligés de systématiquement dire quelque chose sur tout. On est donc bien loin des conversations "marrantes", au tac au tac, qui sont agréables et font quand même du bien.
RépondreSupprimerQuant à tourner sept fois sa langue dans sa bouche, je crois qu'il s'agirait plutôt d'avoir une posture intellectuelle qui demande un peu d'effort : Ai-je vraiment une chose intéressante à dire ? Ai-je assez d'éléments, y ai-je suffisamment réfléchi, ou ne vais-je pas plutôt exprimer un préjugé, une pensée banale, facile, qui ne repose sur aucun effort de réflexion...?
Ce sont un peu les trois tamis de Socrate :
- La vérité : Ai-je à dire quelque chose qui toucherait à la - ma - vérité ? Et si oui, puis-je étayer mes propos ?
- La bonté : Est-ce mon intervention apporte quelque chose à l'autre ? au débat ? à la réflexion... ? (là, on est dans le choix de Frère Amédée)
- La nécessité : Est-il important (pour lui et/ou pour moi - pour la relation, le groupe) que l'autre sache ce que je pense ?
Mais bon, ce n'était pas le sujet de mon texte.
le silence dérange. Peut être parce que les gens ne savent pas l'écouter.
RépondreSupprimerJoliment dit, m'sieur. Et ça rejoint tes réflexions sur le vide... ;)
RépondreSupprimeroui, on est semblables ..
RépondreSupprimerVérité, bonté nécessité, oui c'est tout à fait juste, ce sont les 3 éléments principaux qui font passer à l'acte de langage véritable.
RépondreSupprimerJ'ai longtemps pensé qu'il fallait se taire devant des tanches qui débitaient des idées plus débiles les unes que les autres, et puis, un jour, dépassant ma peur de la prétention, j'ai franchi le pas de dire.
Mais le problème, c'est que peu de gens aiment ça. Ils préfèrent l'illusion et se détournent des vérités, vous laissant seul(e)... peut-être est-ce le privilège de l'amour de nous aider à avancer ensemble sur des chemins incertains et pleins de doutes, mais parfois, l'amour aussi s'illusionne sur vous, prend des vessies pour des lanternes. Une seule chose est sûre, quand on aime soi-même, là est le secret... même sans retour.
En cette soirée de St valentin ce n'est pas bien optimiste, mais au moins,ça a le mérite d'être clair...
Bonté et nécessité ne posent pas trop de problème, mais vérité est si difficile à trouver. Les mensonges, au sein même de l'amour, sont des toiles dans lesquels les amoureux s'engluent.
En d'autres termes, pas d'amour sans vérité... ou si peu...
Bon, faut que j'arrête, je deviens lourde...
Bonne fin de nuit...
B.
"J'ai longtemps pensé qu'il fallait se taire devant des tanches qui débitaient des idées plus débiles les unes que les autres, et puis, un jour, dépassant ma peur de la prétention, j'ai franchi le pas de dire."
RépondreSupprimerJ'ai parcouru exactement le même chemin. Et puis... d'un extrême à l'autre, je prends de plus en plus souvent le parti de me taire. Devant les plus obtus en tout cas, car alors tout discours s'avère tellement vain. C'est le petit geste de renoncement de Frère Amédée (il faut le voir) : il a probablement beaucoup à dire, mais à quoi bon ? Et pourtant, il est en compagnie d'hommes intelligents et généreux.
J'ai donc de plus en plus tendance à "effacer" les fâcheux plutôt que de tenter la discussion. Ou alors je pose des questions (redoutable). Ceux qui savent tout, qui ne doutent de rien, qui ont une opinion sur tout et toujours à l'emporte-pièce, sans le moindre effort de réflexion. En fait, face à eux, plus ça va plus la tristesse remplace l'agacement.