Le tramway qui me ramène bruisse des accents d’une multitude de langues. Envolées chantantes, sons rauques, profondeurs gutturales, piaillements rieurs, roulements d’air… Ce brouhaha me rassure. Peut-être parce qu’il est au-dessus de moi. Largement au-dessus. Moi, au-dessous, j’existe peu. Et il est très réconfortant d’exister si peu. Je veux dire d’avoir la preuve évidente de cela. Parce que bien sûr, pour moi-même, j’existe énormément. Comme tout le monde. Alors j’oublie. J’oublie que tout cela n’est pas si important. Qu’il n’y a pas à avoir aussi peur. À l’échelle du monde - du tout qui n’est jamais tout puisqu’il est infini -, je pèse peu, bien sûr, heureusement.
Prochain arrêt… c’est le mien. Je prends place dans le vortex qui m’expulse du ventre du wagon. L’air frais s’engouffre dans mes poumons. Mais je reste silencieuse. J’ai poussé mon premier cri il y a déjà bien longtemps. Depuis le quai, les échappés s’égaient en tous sens telles les aigrettes d’un pissenlit.
L’avenue soliloque : le bourdonnement monotone des automobiles remplace les voix humaines. Je ne reconnais jamais ce lieu. Toujours la même impression. Celle de découvrir, de visiter une ville nouvelle, de marcher en touriste. Celle de reprendre conscience sur une planète inconnue. Pesanteur à peine plus faible. Air juste un peu plus épais, presque perceptible. Brasse coulée jusqu’à l’endroit exact où il me faut changer de direction. Nord-est nord-ouest.
La petite rue s’ouvre enfin sur ma gauche. Là c’est chaque fois le même glissement. Le silence me happe dans une bulle hors du temps. C’est chaque fois un étonnement, une respiration libérée. Et là, en plus, odeur de glycine et de lilas. Les arbres sont en fleurs, les oiseaux en amour, les chats s’étirent sur les trottoirs ensoleillés, à en oublier les passants. Rares. Quelques chiffres à effleurer du doigt sur une plaque de métal tiède et me voilà dans l’entrée silencieuse. Odeur de vieille cave, madeleine de quelque répit enfantin.
Enfin, après les quatre marches, ma porte. Je m’attarde en souriant devant mon nom sur la plaque. Voilà bien longtemps que je n’avais plus affiché mon identité civile ainsi. À peine un semblant d’étiquette sur la boîte aux lettres pour ne pas entraver le travail du facteur.
Voilà des mois que je n’ai pas changé les draps du monde. Il faudra bien un jour s’y coller. Mais il faudra est au futur. Alors… il faudra.
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